Interview de Thomas Sankara par Mongo Beti

Thomas Sankara
Thomas Sankara a Ouagadougou

Je n’ai pu m’empêcher de partager avec vous ce pur joyau d’un autre temps: une interview du President Thomas Sankara par Mongo Beti.  Cette interview n’avait jamais été publiée auparavant, jusqu’à ce que l’épouse de Mongo Beti, Odile Tobner, la mette sur le site de la Société des Amis de Mongo Beti (SAMBE).  En 1985, Mongo Beti eut une entrevue privée avec notre ‘Che’ africain, Thomas Sankara, à la fin de laquelle, il lui envoya d’autres questions auxquelles Thomas répondit.  Ci-dessous, vous trouverez quelques extraits de cet entretien, où j’ai mis les questions de Mongo Beti sous formes de thèmes, et les réponses de Sankara suivent juste après (en bleu).  Pour l’intégrale, prière de visiter SAMBE.

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Sur les attaques ennemies:Il y a partout aujourd’hui, aux quatre coins du continent, des N’Krumah, des Lumumba, des Mondlane, etc. Que Sankara soit éliminé aujourd’hui physiquement, il y aura des milliers de Sankara qui relèveront le défi face à l’impérialisme. …Toutefois, pour mille et une raison, notre peuple et la jeunesse révolutionnaire africaine restent attachées à Sankara et ne souhaitent jamais que le moindre malheur lui arrive.

Sur la corruption: “Sans être un sociologue averti, ni un historien des sociétés précapitalistes africaines, je ne pourrai pas affirmer que la corruption est propre aux sociétés africaines. C’est un phénomène lié avant tout au système capitaliste, système socio-économique qui ne peut véritablement évoluer sans développer la corruption. Elle est donc incontestablement un héritage maudit de la colonisation. Ainsi, logiquement, pour combattre valablement la colonisation, le colonialisme et même le néocolonialisme, il faut aussi s’attaquer à la corruption.

Alexandre Biyidi Awala, a.k.a. Mongo Beti
Alexandre Biyidi Awala, a.k.a. Mongo Beti

Sur les traditions africaines et la place de la femme (polygamie, excision): “On ne fait pas de révolution pour régresser dans le temps. C’est pour aller toujours de l’avant. La Révolution ne peut qu’étouffer tous les aspects négatifs de nos traditions. C’est cela notre combat contre toutes les forces rétrogrades, toutes les formes d’obscurantisme, combat légitime et indispensable pour libérer la société de toutes les emprises décadentes et de tous les préjugés, dont celui qui consiste à marginaliser la femme ou à la chosifier. … Nous luttons pour l’égalité de l’homme et de la femme, pas d’une égalité mécanique, mathématique, mais en rendant la femme l’égale de l’homme devant la loi et surtout devant le travail salarié. L’émancipation de la femme passe par son instruction et l’obtention d’un pouvoir économique. Ainsi le travail au même titre que l’homme, à tous les niveaux, la même responsabilisation et les mêmes droits et devoirs sont des armes contre l’excision et la polygamie, armes que la femme n’hésitera pas à utiliser pour se libérer elle-même et non par quelqu’un d’autre.”

Sur la cooperation, et la conference au sommet des chefs d’Etats francophones: “Lutter pour son indépendance face au colonialisme ne veut pas dire que l’on se prépare, une fois celle-ci obtenue, à quitter la terre pour aller s’isoler
quelque part dans le cosmos.  Quant aux conférences au sommet des chefs d’État francophones, ils servent, chaque fois que nous avons l’occasion d’y prendre part, de tribune, de tremplin pour notre révolution, pour la faire connaître, de dire ouvertement ce qu’elle pense de ces conférences ou instances politiques. Y participer pour dénoncer ce qui ne va pas dans l’intérêt des peuples africains est une stratégie beaucoup plus payante que les sarcasmes envoyés de l’extérieur.

Sur le franc CFA: “le franc CFA, lié au système monétaire français est une arme de la domination française. L’économie française et, partant, la bourgeoisie capitaliste marchande française bâtit sa fortune sur le dos de nos peuples par le biais de cette liaison, de ce monopole monétaire.

Sur le panafricanisme et Nkrumah: “Tout le monde constate aujourd’hui avec amertume, face aux méfaits et autres exactions de l’impérialisme en Afrique, que N’krumah avait très bien raison d’aller de tous ses voeux à l’unité du continent. Néanmoins l’idée demeure et il nous appartient, il appartient aux patriotes africains, de lutter partout et toujours pour sa concrétisation. Il appartient à tous les peuples panafricanistes de reprendre le flambeau de N’Krumah pour donner espoir à l’Afrique.

Sur le parti unique: “Ce qui est discrédité c’est le parti unique bourgeois, parce que obéissant à une idéologie d’injustice, donnant le premier rôle à une minorité au détriment de la majorité. Un parti unique démocratique, c’est-à-dire un parti du peuple, ne peut en aucun cas être discrédité, parce qu’au service d’un peuple, des intérêts de la majorité. C’est sur une telle base qu’il faut voir la question du parti unique, qui est aussi une vision des masses.

Sur la privatisation de certains secteurs: “La révolution burkinabé considère l’initiative privée comme une dynamique qu’elle prend en compte dans l’étape actuelle de la lutte du peuple burkinabé. … L’État ne peut pas s’engager dans une étatisation tous azimuts, même si le contrôle d’un certain nombre de secteurs vitaux de notre économie s’avère indispensable.

Au camarade Mongo Beti, 3/11/85
La patrie ou la mort, nous vaincrons !

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