
Malgré son odeur vraiment désagréable, le bouc est respecté par les autres animaux. Il passe pour un sage et on écoute ses conseils : d’ailleurs n’est-ce pas lui qui porte la barbiche comme un vieillard ? Mais le bouc n’a pas toujours eu cette réputation, et je vais vous dire comment il l’a acquise.
Autrefois, tous les animaux vivaient en paix. L’éléphant, la panthère, le bouc et l’hyène étaient alors de bons amis. Ils travaillaient tous quatre sur une grande plantation qui leur appartenait collectivement. A l’heure des repas, ils partaient, chacun de leur coté, chercher la nourriture. Ils faisaient la cuisine, chacun pour soi. Cela leur prenait beaucoup de temps.
Un jour, ils décident de mieux s’arranger entre eux. C’est l’hyène qui a cette idée. C’est elle aussi qui propose un règlement fort simple que les trois autres acceptent aussitôt. Voici ce règlement qui tient en une seule phrase : Chacun à notre tour, nous fournirons la viande pour nous quatre, pendant toute une semaine.
Le lendemain l’hyène propose d’ajouter une deuxième phrase. Voici ce qu’elle veut faire ajouter : Celui qui n’arrivera pas à rassasier les trois autres sera mangé par eux.
Cette règle est acceptée aussitôt par les quatre amis. Sans réfléchir, le bouc a donné son accord.

La première semaine est celle de l’éléphant. Il va dans la forêt frappant tout ce qui passe à portée de sa trompe. Il rapporte du gibier en grande quantité. Il prépare des repas si copieux que les quatre amis ne peuvent en venir à bout. Les charognards qui viennent mangé les restes ne peuvent plus s’envoler, tellement leur ventre est plein.
La deuxième semaine, c’est la panthère qui reçoit les autres. Elle leur sert d’énormes quartiers de viande. Le soir, elle se cache près du marigot, les hautes herbes, et elle attrape les animaux qui viennent boire : singes, antilopes, phacochères … Les ventres des quatre amis sont si pleins qu’ils peuvent à peine travailler sur leur plantation. La terre parait basse quand on n’arrive plus à se plier.
La troisième semaine est celle de l’hyène. La nuit, elle va voler des morceaux de viande aux autres animaux et elle les traîne chez elle. Cette viande laissée par les lions et les charronnages n’est pas toujours très fraîche. Elle sent parfois mauvais, mais il y en a beaucoup. En se bouchant le nez, chacun peut manger à sa faim.
Enfin arrive le tour du bouc. Jusqu’à maintenant il n’y a pas songé et il a mené joyeuse vie. Quand il s’aperçoit que l’hyène le regarde souvent en se léchant les babines, il commence à comprendre, et il commence à avoir à peur. Elle est sûre qu’il n’arrivera pas à attraper du gibier : est-ce que vous connaissez un seul bouc capable de chasser ?
Quand elle le rencontre, elle secoue tristement la tête en disant : Ah, tué hiancé ! Ce qui veut dire : Ah, pauvre bouc ! puis elle tourne la tête pour qu’on ne voie pas son sourire.
Le bouc, inquiet, court partout comme un fou, mais aucun animal ne se laisse attraper. Même les tortues réussissent à lui échapper. L’infortuné chasseur se plaint tout haut : Je suis perdu ! Ah ! Cette fois je suis perdu!

Dans une clairière, il rencontre un vieillard à barbe blanche qui s’étonne : Qu’est-ce qui t’arrives, compère bouc, mon ami à longue barbiche ? Pourquoi ces courses ? Pourquoi ces cris ? Es-tu malade ?
En pleurant, le bouc lui raconte toute l’histoire et à tout moment, il s’arrête pour répéter comme un refrain : Je suis perdu ! Ah, cette fois je suis perdu ! Le vieillard est un peu sorcier et il décide d’aider le bouc à se tirer d’affaire. Il sort de sa poche un petit couteau brillant et il le donne au bouc en disant : Quand tu veux tuer un animal, vise-le avec ce petit couteau en prononcent ces mots : «Couteau, petit couteau, joli couteau, Tue pour moi, joli petit couteau.»
Il t’obéira comme un esclave. Mais fais bien attention, quand le couteau t’aura obéi il reviendra vers toi. Si tu ne veux pas être blessé, ou même tué ; il faut dire : «couteau, petit couteau, joli couteau, tombe ici.» Il essaye le joli petit couteau magique. Il tue ainsi des antilopes, des phacochères, des oiseaux et même des poissons. Le vieillard n’a pas menti.
Quand ils voient l’amoncellement de gibier devant la porte du bouc, la panthère, l’éléphant et surtout l’hyène sont stupéfaits. D’un air modeste, le bouc présente des excuses : Chers amis, j’espère que vous ne serez pas trop déçus par ce petit repas. J’espère faire mieux demain.
Toute la semaine, les repas sont des festins de roi. Sournoisement, l’hyène questionne le bouc pour savoir comment il s’y prend. Elle lui propose de l’accompagner en brousse : Je porterai le gibier, dit-elle. Laisse-moi t’aider, je te suivrai sans faire de bruit. Mais le bouc est devenu méfiant et il se tient sur ses gardes. A la fin de la semaine, l’hyène n’a pas pu percer le secret. Elle enrage.
Trois semaines ont passé, et de nouveau c’est le tour de bouc. Quand il part en brousse, l’hyène le suit en se cachant. Elle se couche entre les hautes herbes sans faire de bruit. Elle voit comment le bouc utilise le couteau. Mais elle n’entend que la formule magique qui permet de lancer l’arme. Quand le bouc a prononcé la formule secrète pour récupérer le couteau, l’hyène est déjà loin, courant vers le campement en se répétant tout bas ce qu’elle a entendu. Toute la nuit elle répète la petite phrase pour ne pas l’oublier.

Le lendemain matin, pendant que ses amis travaillent dans la plantation, l’hyène commence a ce rouler par terre en poussant des cris perçants. Elle a des coliques, elle dit. Elle quitte le champ et se rend dans la concession du bouc. Elle se glisse dans la case, découvre un précieux petit couteau et s’en empare. Sans attendre elle s’élance dans la brousse en répétant.
Personne ne sait chasser aussi bien que moi !
Elle ne s’arrête que lorsqu’elle aperçoit une belle antilope qui broute l’herbe à plus de cent mètres de là. Elle dirige la pointe du couteau vers l’animal et prononce la formule magique : «Couteau, petit couteau. Tue pour moi, joli petit couteau.»
Le dernier mot n’est pas encore prononcé que l’antilope s’abat, la gorge tranchée. Le petit couteau ayant terminé sa besogne revient vers l’hyène comme une flèche. Elle a à peine le temps de baiser la tête : la lame lui fend l’oreille droite. Déjà le couteau revient à la charge et Hyène commence une course en zigzags. Elle crie : Arrête-toi, couteau ! Va-t-en couteau ! Elle lance des injures à l’arme magique. Mais le petit couteau ne peut obéir qu’au la bonne formule, celle donnée par le vieillard.
La pauvre hyène, haletante, est folle de terreur. Elle pousse des cris qui font fuir tous les animaux à dix kilomètres à la ronde : c’est l’oreille gauche qui saigne maintenant. Elle arrive par hasard dans la plantation où travaillent encore ses trois compagnons ceux-ci pensent d’abord qu’elle crie parce que les coliques la font souffrir. Elle tourne autour d’eux en hurlant.
Le bouc comprend très vite ce qui s’est passé et il murmure la formule magique dans les poils de sa barbe : «Couteau, petit couteau, joli couteau, Tombe ici joli petit couteau.»
Aussitôt la petite arme magique tombe à ses pieds. Il l’a ramasse sans crainte devant l’éléphant et la panthère effrayés et devant l’hyène a moitié morte de fatigue et de peur. Depuis ce jour, les animaux respectent le bouc, mais ils n’osent plus travailler avec lui.
Conte tiré de “Contes des Lagunes et Savanes,” Collection ‘Fleuve et Flamme,’ édition Edicef, 1975