
Il était une fois un roi très puissant, redouté par toutes les tribus du voisinage et respecté par les siens. Il avait sept fils nés de plusieurs femmes. Mais son épouse préférée ne lui avait donné qu’une fille nommée Sika. Cette jeune princesse était aussi douce que belle. Elle aurait fait la joie de la vieillesse de son père si elle n’avait été victime d’un malheur épouvantable: à l’âge de quatorze ans alors que nulle jeune fille de la région ne pouvait rivaliser en beauté avec elle, elle était brusquement devenue sourde et muette. Car les coépouses, par jalousie de la préférence marquée du roi pour sa mère, avaient voulu atteindre celle-ci par sa Sika par un grand féticheur du pays.

Le roi ignorait naturellement les agissements de ses épouses mais les mauvaises langues du royaume avaient jasé. Et la rumeur s’était répandue dans le pays. Le roi a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que sa fille bien-aimée guérisse. Il a consulté tous les sorciers de quelque réputation, a offert des présents somptueux à tous les marabouts du nord pour qu’ils viennent examiner son enfant. Mais nul n’a pu parvenir à rendre l’ouïe et la parole à Sika. Finalement le roi a résolu d’envoyer sa fille vivre dans un petit village à l’écart, car le spectacle du malheur de son enfant lui déchirait le cœur.

Or, Tortue, à l’esprit fertile en inventions a entendu parler de l’affaire et a décidé d’intervenir afin d’en tirer un bon profit. Elle se rend à la cour et demande à parler au roi: “Seigneur, lui dit-elle, que me donnera tu si je réussissais à guérir la princesse? J’ai beaucoup d’expérience et je crois que cela est de mon devoir.”
L’espoir se réveille alors dans le cœur du malheureux père.
“Si tu parviens à rendre l’ouïe et la parole à Sika, je prends le conseil des anciens à témoin, je partagerai mon palais en deux et t’en donnerai la moitié.”
– J’ accepte ton offre, répond Tortue. Dès que j’aurai fait ce que je dois, je t’amènerai ta fille et tu constateras par toi–même qu’elle est redevenue normale.

Tortue se rend donc dans la forêt qui entoure le village ou l’on avait envoyé la jeune princesse. D’une petite hauteur, elle surveille le chemin. Bientôt, elle aperçoit Sika qui se rend au marigot pour se baigner. Tortue, aussitôt, va déposer, bien en vue, sur une grosse pierre, une calebasse pleine d’un miel délicieux qu’elle s’était procuré. Puis, elle se cache dans un buisson tout près de là.
La princesse arrive au bord de la l’eau, cherche un endroit pour déposer son pagne et aperçoit la calebasse. Poussée par la gourmandise, elle y porte la main tortue sort alors précipitamment du fourré, s’élance sur Sika et la frappe au visage en hurlant:
“Voleuse ! Voleuse ! Comment peux-tu voler le miel que j’ai acheté pour mes enfants?”
La jeune fille abasourdie, se débat. Son indignation est si violente que la parole lui revient.
“Moi une voleuse? Comment oses-tu dire une chose pareille, étrangère? Ne sais-tu pas que je suis la fille unique du roi, la princesse Sika? Veux-tu me lâcher immédiatement!”
Mais Tortue, la très rusée, la ligote avec une corde et l’entraîne derrière elle sur le sentier qui va vers le village, en

criant à tue-tête: “Regardez tous la voleuse de miel! Wuu! Wuu! Sika, la fille du roi n’est qu’une voleuse! Wuu! Wuu! Sika préfère prendre le miel des autres pour le manger que d’aller au marché en acheter.”
A son tour, elle se met à crier: “La veille sorcière! La menteuse! La fille du roi ne doit pas être insultée ainsi. Frappez cette menteuse! Et délivrez-moi! Sika va rendre visite à la panthère de la forêt et la panthère est contente! Sika va visiter le seigneur éléphant ! Et le seigneur éléphant est fier de la recevoir. Honte! Honte! à la vieille qui veut déshonorer la fille du roi par ses mensonges!”
Mais Tortue semble ne vouloir rien entendre. Les habitants du pays sont tellement étonnés d’entendre ces accusations et de voir la princesse qui était muette auparavant, répondre par de grands cris, qu’ils n’osent intervenir.

Tortue continue donc à traîner ainsi derrière elle la jeune fille, en direction de la ville royale. Avec malice, elle poursuit ses clameurs: “Wuu! Sika, la fille du roi est une voleuse de miel! Regardez-la tous! Wuu! Wuu! Sika, voleuse de miel!”
Tandis que la princesse en furie vocifère: “Vieille sorcière! Menteuse! Ce n’est pas vrai! Ce n’est pas vrai!”
Elles arrivent dans cet équipage et au milieu des mêmes hurlements jusqu’au palais. Attiré par le bruit, le roi sort dans la cour et pousse un cri de stupeur: “Ma fille muette parle! Miracle! Miracle!”
Aussitôt, prestement, Tortue détache les liens de Sika et s’incline respectueusement devant le roi.
Quand à la jeune princesse, toujours furieuse, elle se précipite aux pieds de son père: “Père! Père! Punissez cette vieille sorcière qui m’a insultée et humiliée, moi, votre fille unique! Père, punissez-la!”

Le roi voit que son enfant bien–aimée est complètement guérie et il la calme en disant: “Non ma fille! Je ne punirai pas Tortue. Au contraire, je vais la récompenser car elle a réussi là où les plus grand plus féticheur ont échoué. Elle ne t’a humilié que pour t’obliger à retrouver la parole. Sa ruse a été plus forte que tous les remèdes!”
Il s’approche ensuite de Tortue et déclare: “Grand merci savante Tortue, qui as sauvé mon enfant en la guérissant de son infirmité. La moitie de mon palais est à toi!”
Tortue réussit tout ce qu’elle entreprend car elle connaît bien le cœur des hommes!
Conte tiré de “Contes des Lagunes et Savanes,” Collection ‘Fleuve et Flamme,’ édition Edicef, 1975.