
C’était il y a très, très longtemps à l’époque ou les animaux parlaient et ou les hommes pouvaient comprendre leur langage. Il y avait une grande famine. Kakou Ananzè, l’araignée-à-l’esprit-plein d’astuce a résolu de partir à travers le pays, en quête de nourriture. Il marche longtemps, longtemps, pendant des jours et des nuits. Il aperçoit enfin au loin une fumée qui monte dans le ciel. Il se dirige vers elle. En arrivant, il voit le génie Aziza en train de manger, assis auprès du feu. Sa longue et épaisse chevelure se hérisse autour de sa tête et retombe sur son visage, cachant complètement ses yeux et l’empêchant de voir. Kakou Ananzè s’approche tout doucement du génie Aziza et, sans faire le moindre bruit, commence à voler un peu de nourriture. Quand Aziza prend un morceau de viande, Araignée, vite en prend un autre, tout en faisant bien attention que sa main ne rencontre jamais celle du génie. Bientôt il ne reste plus qu’un seul morceau dans le plat. Instinctivement, Araignée tend la main. Au même moment, le génie tend la sienne, ce qui fait qu’elles se rencontrent.
Qui est là? gronde le génie.
– C’est moi Kakou Ananzè, dit l’Araignée d’une faible voix.
– Je vais te dévorer, rugit Aziza en se dressant.
– Je le veux bien! Répond Kakou Ananzè, mais auparavant, puissant génie, laissez-moi tresser votre chevelure afin que vous puissiez me voir.

Aziza accepte et se rassie, s’adossant à un arbre. Araignée se met à rire sous cape, et prend les longs cheveux du génie. Mais au lieu de les tresser, il s’en sert pour entourer le tronc de l’arbre et ainsi attache solidement Aziza de façon à ce que celui-ci ne puisse plus faire un mouvement.
Te voila prisonnier, pauvre sot! C’est moi maintenant qui vais te dévorer!
Kakou Ananzè met le feu à l’arbre. Et le génie est grillé. Quand il est cuit à point, Araignée le mange. Bientôt il ne reste plus que les os d’Aziza. Déçu, car il avait encore faim, Kakou Ananzè se met à examiner le petit tas d’ossements à la recherche d’un lambeau de viande oublié. Et un os bien long et bien pointu lui pique le nez, puis s’y fixe. Le nez de l’araignée enfle, s’allonge et devient une sorte de longue trompe.
Que vais-je devenir avec cette horrible chose sur le visage? se lamente Kakou Ananzè, il faut que je redevienne normal car les gens vont rire de me voir ainsi.

Or en là, les animaux avaient coutume d’ôter leur nez et de le déposer sur la berge de la rivière ou du marigot, avant d’entrer dans l’eau pour se laver. Araignée profite de cette habitude. Il court jusqu’à la rivière la plus proche et se cache dans les arbustes. Eléphant arrive pesamment pour faire sa toilette. Il ôte son nez, le dépose soigneusement sur l’herbe et entre dans l’eau. Alors Kakou Ananzè s’empare du nez d’Eléphant, ôte sa vilaine trompe qu’il dépose sur l’herbe. Il fixe sur son visage le nez volé et s’enfuit à toute allure.
Quand Eléphant a terminé son bain, il remonte sur la berge et veut récupérer son bien. Mais malgré ses recherches il ne trouve que la vilaine trompe, et il est contraint de la mettre sur sa figure.
Conte tiré de “Contes des Lagunes et Savanes,” Collection ‘Fleuve et Flamme,’ édition Edicef, 1975.