
Regarde la paume de la main. Elle est toute striée de lignes. De lignes. Certaines sont longues et profondes. Les autres sont moins profondes mais plus serrées. C’est leur dessin qu’on appelle empreintes digitales.Et bien, il parait qu’autrefois nos ancêtres ne connaissaient pas ces lignes: la paume de leurs mains était parfaitement lisse. Si tu veux savoir comment elles sont apparues, écoute l’histoire que m’a racontée, un soir, le vieux koriste.
Un pécheur avait deux femmes. L’une, Ahou, était la mère de nombreux enfants. L’autre, Adjoua, ne pouvait en avoir: elle était stérile.
Naturellement, Ahou et ses enfants se moquaient sans cesse d’Adjoua et celle-ci ne pouvait que pleurer devant les railleries et les insolences de sa rivale.
Au début le pêcheur avait défendu Adjoua, mais peu à peu il se désintéressait d’elle et l’avenir, sans enfants, lui apparaissait bien triste.
Un jour qu’elle se sentait particulièrement malheureuse, Adjoua prit une décision : elle irait consulter la vieille Aya et grâce à ses remèdes, elle aurait des enfants.
Aya était une très vieille femme qui connaissait parfaitement toutes les plantes de la forêt. Elle connaissait non seulement le nom secret de ces plantes mais aussi la façon de les récolter, de les préparer pour obtenir des remèdes efficaces. On racontait que grâce à Aya beaucoup de femmes qu’on croyait définitivement stériles avaient pu avoir de nombreux enfants.
Seulement il n’était pas facile de se rendre auprès de cette guérisseuse car elle vivait à l’écart de tout village et bien des femmes l’avaient cherchée en vain. Les difficultés de l’entreprise ne découragent pas Adjoua. Pendant toute une lune, elle prépare soigneusement son voyage, en grand secret. Et le matin prévu pour le départ arrive. Le pêcheur est alors sur la lagune, en train de relever ses nasses. Ahou, la rivale, entourée de tous ses enfants, est occupée à piler des bananes plantations pour le foutou. Adjoua pose une grande calebasse sur sa tête et fait semblant d’aller chercher de l’eau au marigot. Mais dans la calebasse elle a dissimulé un petit ballot bien serré contenant des pagnes et tous les bijoux qu’elle possède.

Les dernières cases du village dépassées, elle commence à courir. Elle pense: Si je ne rencontre pas Aya ou si ses remèdes sont impuissants, je ne rentrerai plus jamais au village ! Le voyage dure huit jours et pourtant elle s’arrête à peine pour se reposer. Le soir du huitième jour elle aperçoit la case de la guérisseuse. La vieille femme est occupée à écraser des graines rouges entre deux pierres. Sans lever la tête, sans interrompre son travail, elle prend la parole: Tu es Adjoua, je sais pourquoi tu viens me voir ton courage sera récompensé. Je t’ai préparé un remède qui te donnera l’enfant que tu désires. Prends le paquet de feuilles posé sur la pierre du foyer: tu en feras une infusion que tu boiras. Mais attention! Veille à ce que l’enfant ne pleure pas et, surtout, qu’il ne s’approche jamais de la lagune. Sinon, il ne serait plus à toi. Tu peux partir. Tu ne me dois rien.Et la vieille continue à écraser ses graines rouges sur la meule dormante. Elle n’a même pas levé la tête. Adjoua, stupéfaite, n’a même pas vu son visage. Elle se retrouve sur le chemin du retour, serrant contre elle son précieux paquet d’herbes.
Quelques mois plus tard, elle donne naissance à un garçon. Ahou est folle de jalousie. Ses enfants et elle cherche toutes les occasions possible de faire de la peine à Adjoua; ils appellent son fils : Enfant de plantes.
Adjoua fait semblant de ne pas entendre et l’enfant grandit heureux, serré dans un pagne sur le dos de sa mère. Un jour Ahou prétend que le fils d’Adjoua a mordu le doigt de sa fille. Elle frappe l’enfant et le chasse sur le sentier qui descend vers la lagune. Il avance de plus en plus vite, comme attiré par l’eau. Alertée par les hurlement de sa rivale, Adjoua ,qui est aux champs, accourt. Mais il est trop tard. Et il continue d’avancer, sourd aux appels de sa mère. Elle réussit à le rattraper et à l’empoigner par les cheveux. Hélas! seuls les cheveux lui restent dans la main. C’est tout ce qu’elle garde de son enfant.
Et c’est ce que nous conservons aussi dans la paume de nos mains.
Conte tiré de “Contes des Lagunes et Savanes,” Collection ‘Fleuve et Flamme,’ édition Edicef, 1975