
Il était une fois un village ou la famine sévissait. Le roi se faisait beaucoup de soucis car les enfants mouraient et les villageois n’avaient plus assez de force pour aller cultiver la terre. C’était là que vivait Kakou Ananzè, l’Araignée. Malgré toute sa ruse, lui aussi souffrait de la faim. Tous les jours, il partait dans la brousse à la recherche de racines ou de graines qui puissent nourrir sa famille.
Un jour, Kakou Ananzè était en train d’errer au milieu des buissons. Epuisé de fatigue, il s’arrête pour se reposer. Alors il entend une petite voix qui sort d’un fourré et lui dit : papa Ananzè! papa Ananzè! Un peu effrayé et très curieux de savoir qui l’appelle ainsi, Kakou Ananzè entre au milieu des épines et découvre une calebasse posée sur le sol.

Comme il l’examine de plus près, l’ustensile de cuisine lui adresse la parole en ces termes: Sors-moi de ce buisson d’épines et emmène-moi dans ta case. En récompense, je te rendrai la vie heureuse. Araignée ramasse la calebasse et la rapporte chez lui. A peine arrivé, il appelle sa femme et ses enfants. Leur montre l’ustensile et leur raconte son aventure. Tandis que tous s’étonnent, Kakou Ananzè se penche sur la calebasse et lui dit:
Chère amie, j’ai fait tout ce que tu souhaitais. A toi de tenir ta promesse. Les miens et moi mourons de faim et n’avons pas de nourriture; peux-tu nous aider?
A peine achève-t-il ces mots que la calebasse se trouve remplie de toutes sortes de mets: ignames frites, boules de pâte, bananes–plantains, poulet, sauce, etc. Ils remercient tous leur nouvelle amie, mangent jusque ce qu’ils soient rassasiés. Puis Kakou Ananzè prend la parole en ces termes :
Enfants, écoutez-moi bien et toi aussi femme! Je vais aller cacher soigneusement cette calebasse magique. Ne racontez cette histoire à personne, sous aucun prétexte. Car les gens jaloux de notre chance pourraient venir nous voler celle qui désormais, va tous nous nourrir.
Tous les membres de la famille jurent de garder le silence. Pendant quelques jours, tout se passe bien. Le soir, Araignée sort la calebasse de la cachette, lui demande poliment de la nourriture et, après que la famille ait mangé, remet l’ustensile à l’abri.

Or, la femme de Kakou Ananzè était très gourmande. Elle avait caché dans son pagne quelques beignets de haricot comme provision pour la journée. Dans l’après-midi, elle sort dans la concession, s’assied sous un manguier et commence à manger. Mais sa voisine affamée, l’aperçoit. Elle s’approche sans faire de bruit et se met à crier: “comment peux-tu avoir des beignets de haricot alors que tout le monde meurt de faim et qu’il n’y a plus de nourriture dans le village? D’ailleurs, je ne t’ai pas vue piler la pâte ni faire la cuisine. A qui as-tu volé cela ?”
Madame Araignée est ennuyée. Elle donne immédiatement les beignets qui lui restent à la voisine en la suppliant de se taire. Celle-ci dévore tout puis recommence à faire du tapage: “Voleuse ! Voleuse! A qui as-tu pris cela ?”
Effrayée, madame Araignée lui raconte alors toute l’affaire de la calebasse magique trouvée par son mari, et lui jure que, désormais, elle lui portera tous les jours un peu de nourriture si elle garde le secret. Pendant la nuit, la voisine ne peut tenir sa langue et raconte tout à son mari qui s’en va aussitôt chez le roi dénoncer l’égoïsme de Kakou Ananzè.
Le roi envoie des soldats fouiller toute la concession de Kakou Ananzè. Mais ils ne trouvent rien. La calebasse magique a disparu. Et jamais plus personne ne l’a revue.
Adea, kue: La langue, c’est la mort.
Conte tiré de “Contes des Lagunes et Savanes” Collection ‘Fleuve et Flamme’, Edition Edicef, 1975.